Un reportage de Melisssa Claudie Philippe et Raymond-Robert Tremblay
La journée de ressourcement pédagogique organisée par HEC Montréal est une occasion de réflexion et de renouvellement pour beaucoup d’intervenants pédagogiques du primaire à l’université. C’est également un temps de partage de pratiques susceptibles de renverser des traditions d’enseignement. C’est d’ailleurs tacitement le rôle de l’innovation pédagogique dans l’enseignement qui vise à l’amélioration des façons d’enseigner pour répondre plus efficacement aux besoins des étudiants et de la communauté. Le colloque du HEC s’est déroulé sous le thème «Innovations pédagogiques dans l’enseignement de l’entrepreneuriat» et près de 130 personnes y participaient. Pas mal pour un 15 août! Plusieurs interventions et ateliers se sont succédés durant cette enrichissante journée dont nous partageons les points saillants.
La journée a débuté par les propos de bienvenue prononcés par Franck Barès, professeur visiteur aux HEC Montréal et membre de la Chaire d’entrepreneuriat Rogers-J.-A.-Bombardier. Peu après, M. Louis Jacques Filion, une sommité incontestée dans le domaine, enchaîne avec une définition du concept d’entrepreneur qui, selon lui, est un artiste de l’action, qui pratique le métier d’innovation. Dans l’enseignement de l’entrepreneuriat, l’accent doit être mis prioritairement sur le savoir-être de l’étudiant plutôt que sur le savoir-faire. Contrairement à la majorité des disciplines où un savoir-faire conventionnel est enseigné, l’enseignement de l’entrepreneuriat doit être une invitation à la créativité et à l’intuition.
Nécessaire dans une phase plus tardive du parcours de l’entrepreneur, le savoir-faire entrepreneurial est mise en oeuvre seulement lorsque la décision de passer à l’action est prise. D’où l’importance de la préparation de l’apprenti entrepreneur en vue de stimuler les valeurs qui suscite en lui le goût d’entreprendre et de concrétiser son idée.
En second lieu, M. Manaf Bouchentouf, Directeur de l’accélérateur du HEC Montréal, a convaincu l’assistance de l’utilité des accélérateurs pour soutenir la croissance des entreprises déjà installées. Les services de l’accélérateur s’arriment avec les besoins de conquêtes de nouveaux marchés, de croissance de chiffre d’affaires et de coaching des entrepreneurs. Tandis que l’incubateur met un espace propice à l’idéation et un support à l’idéation et au pré-démarrage à leur disposition.
L’accélérateur du HEC Montréal savoure aujourd’hui plusieurs victoires. Les résultats sont très concluants: 25 entreprises graduées, 65 entrepreneurs, 80% de taux de survie, 96% des entreprises en activité dont la totalité est installée au québec. 50% offrent également leurs services/produits à l’international. Ces entreprises emploient 146 employés et génèrent 5.5 millions de chiffre d’affaires annuel pour 5.8 millions de financement externe.
Valérie Huppé, responsable du parcours entrepreneuriat-études du cégep Limoilou a conclu la première partie de la journée en expliquant comment le collège s’y prend pour créer le «vibe» entrepreneurial auprès des étudiants. Pour éveiller la fibre entrepreneuriale chez ses étudiants, en 2013, le Cégep Limoilou a mis en place un nouveau parcours parascolaire où les jeunes apprennent à devenir leur propre patron. En plus de contribuer à la lutte contre le décrochage scolaire, cette initiative permet de mettre au monde une nouvelle génération d’entrepreneurs dans une ville où le goût de se lancer en affaires mérite d’être stimulé.
Activités complétant la matinée
Par la suite, trois présentations ont été offertes sur Entrepreneuriat Québec, le parcours C3 du Pôle Entrepreneuriat Culturel et Créatif et le modèle de création de produits innovants en ingénierie. Cet atelier était animé par Louis Jacques Filion lui-même.
- Le réseau d’entrepreneuriat de Québec, a été présenté par Michaël Giguère, PDG de l’institution qui compte 90 points de services, 600 enseignants, coachs et formateurs qui offrent des supports en démarrage d’entreprise. Au cours de l’année 2016-2017, plus de 8 millions d’heures de formations ont été offertes à 25 000 entrepreneurs, au profit de 5 000 entreprises. Cet organisme qui s’autofinance grâce aux frais de participation des membres et à la vente de matériels propose un concept exploration de modèle d’affaires sur le terrain avant le développement d’un plan d’affaires. Cette formule inversée d’expérimentation avant le lancement permet aux entreprises de mettre leur idée d’affaires à l’épreuve et de concevoir le meilleur couple produit-marché possible.
- Le parcours C3 du Pôle Entrepreneuriat Culturel et Créatif. Benoit Aubé et M. André Ménand ont conjointement présenté un parcours visant la sensibilisation, la formation des entreprise versées dans les domaines de la création et de la culture en vue de provoquer un changement de paradigme. Ce programme vise à changer la perception que les artistes et professionnelles de la culture ont de l’entrepreneuriat, les amener à explorer les possibilités d’une adéquation entre productivité et production artistique et à planifier un tant soit peu l’acte de la création.
- Le modèle de création de produits innovants en ingénierie. Proposé par l’ecole de gestion de l’Université de Sherbrooke, il s’agit d’un cours issu de la fusion de deux cours disponibles dans les facultés d’ingénierie et de gestion. Comme l’a expliqué M. Jacques Baronet, professeur titulaire de l’école de gestion de l’Université de Sherbrooke, ce cours dorénavant de 6 crédits est délivré en co-enseignement par 5 professeurs à 60 étudiants des deux facultés. Cette stratégie assure la complémentarité d’étudiants issus de domaines d’études différents et dont l’interdisciplinarité a permis l’émergence de plusieurs produits innovants. Usee, T.A.G, Bartender, Ultina, Secadora, Catmosphere, Flyboy et Wakeup Buddy.
Parallèlement à ces présentations, Franck Barès animait une série de trois allocutions fort dynamiques.
- «Start-up cards: une outil pédagogique innovant d’accompagnement à la création d’entreprise. Un suivi individualisé et un contrôle de cohortes» a été présenté par M. Régis Goujet professeur en stratégie et organisation à l’université de Lyon et responsable de l’incubateur Émylion. M.Goujet enseigne et conçoit «des dispositifs pédagogiques dans le domaine de la création d’entreprise à destination des étudiants pour de la sensibilisation, mais aussi afin de les accompagner dans leur démarche entrepreneuriale effective». Ses cartes de suivi se sont avérées plus efficaces que le fameux Business Model Canvas, car elles sont plus spécifiques, plus interactives et qu’elles permettent un encadrement pédagogique collectif rigoureux. Ces cartes sont en voie de virtualisation.
- Par la suite, le professeur Fabian Moreno a présenté le Certificat en entrepreneuriat offert à HEC Montréal. Ce programme est bien plus pratique qu’académique car il est axé sur la réalisation d’un projet effectif. On y offre la possibilité de mettre un projet sur pied grâce à de nombreuses ressources, du coaching et des appuis divers, y compris des appuis financiers pour certains projets. Mme Audrey Bernard, étudiante entrepreneure qui a démarré une entreprise dans ce contexte est venue témoigner de son expérience. Elle qui a quitté un emploi de fonctionnaire bien sécuritaire pour devenir entrepreneure, malgré les risques pour sa petite famille, est en train de compléter son programme mais elle a déjà une deuxième entreprise à son actif! Son témoignage dynamique en a convaincu plus d’un!
- Enfin madame Nathalie Lachapelle a présenté le nouveau Certificat en entrepreneuriat à distance offert par la TÉLUQ. Selon elle, «l’éducation doit s‘adapter aux besoins du “client” et ajuster les délais en conséquence.» Cette flexibilité est certainement une condition de succès pour ce programme conçu justement pour les personnes qui jonglent avec un horaire surchargé, où souvent les charges familiales se combinent avec le travail et les études! D’ailleurs le 27 septembre, à 11h30, un webinaire gratuit présentera les caractéristiques de ce programme.
Trois ateliers concurrents de l’après-midi
- L’éducation entrepreneuriale à l’école. M. Rino Lévesque a apporté des clarifications sur la raison d’être de ce forum d’échanges piloté par Idée éducation entrepreneuriale du Québec.
- Les projets d’éducation entrepreneuriales des cégeps. Le PEEC a proposé ses réflexions sur les enjeux de la réussite scolaire dans le contexte de l’enseignement de l’entrepreneuriat au collégial. Des interventions pondérées concernant les impacts de l’éducation à l’entrepreneuriat et de la pédagogie entrepreneuriale sur l’engagement et la réussite scolaire, basées sur le vécu des intervenants pédagogiques et des témoignages des étudiants. Cet atelier est résumé dans un autre article.
- L’éducation entrepreneuriale à l’université. Les participants à cet atelier animé par M. Denis Robichaud, un acadien d’origine travaillant à la TÉLUQ, ont été invités à partager les initiatives prises dans leurs universités pour adapter l’enseignement et leurs modes d’évaluation, considérant les spécificités du domaine de l’entrepreneuriat.
Fin de journée
Pour permettre les échanges, les animateurs des différents ateliers ont résumé le contenu de leurs présentations, afin d’accommoder ceux qui n’ont pas eu l’occasion de participer aux autres ateliers offerts simultanément.
Par la suite, après que monsieur Filion ait présenté une dizaine d’ouvrages récents dans le domaine de l’entrepreneuriat, Mme Mai Thai a défendu avec beaucoup de passion une initiative globale dans le domaine de la création d’entreprises sociales, menée aux HEC: le Social Business Creation.
À la toute fin, nous avons eu droit à une présentation humoristique et provocatrice du professeur Pierre Balloffet, «Images, sons, odeurs, saveurs, comment faire appel à l’ensemble de nos sens pour stimuler l’apprentissage», suivie d’une séance de détente active pilotée par Marie-Josée Lareau, de L’étincelle créative, Innove Lab. Il convient de développer sa présence à soi et sa présence à l’autre pour développer ainsi sa conscience et sa créativité. Cette danseuse femme d’affaires, qui a aussi travaillé avec le Cirque du Soleil, nous invite à rester toujours branchés sur notre physicalité en tant qu’enseignants et en tant qu’entrepreneurs.
Conclusion
Cette journée de ressourcement pédagogique est le genre d’initiative de nature à stimuler la créativité auprès des enseignants et autres intervenants pédagogiques, mais surtout une occasion de se soutenir mutuellement. L’enseignement de l’entrepreneuriat doit se distinguer par la flexibilité qu’il offre aux étudiants et par son incitation à l’imagination. Comme l’écrivait Laurent Lapierre, le meilleur enseignant est «l’enseignant qui n’enseigne plus!», suivant ainsi le principe pédagogique contemporain : Learning by Doing!
Ces latitudes s’offrent également aux enseignant destinés à jouer le rôle de facilitateurs du processus de l’apprentissage des compétences liées à la discipline. Un défi perçu comme une opportunité pour l’émergence de nouveaux entrepreneurs, moteurs du développement économique du Québec.