Multi-entrepreneur, docteur en administration des affaires, professeur en entrepreneuriat de l’Université de Sherbrooke (UdeS) et directeur de l’Accélérateur entrepreneurial Desjardins (AED) de l’UdeS, on attendrait de Jean Bibeau une attitude princière: on aurait tout faux! Il est sympathique, accessible et populaire auprès des intervenants entrepreneuriaux des collèges. Il pratique un langage simple, sans concéder sur la profondeur et surtout, il respecte le savoir de ses interlocuteurs. Cependant, il n’en est pas moins déstabilisant. Voici pourquoi.
D’abord le titre de sa conférence-atelier: « Oser créer des Espaces d’Être ». Tout un programme: pour lui, la pédagogie consiste à remettre l’individu (l’être) au coeur de l’enseignement. Avec Denis Bédard – professeur en innovation pédagogique de la même université et ancien conseiller pédagogique de collège – il a défini une pédagogie de l’espace expérientiel: « L’Espace Expérientiel (E2) se définit comme… une approche pédagogique interactive, qui met en action les individus appelés à interagir, réfléchir et se développer, en toute humilité et authenticité, par l’émergence d’une expérience vécue au sein d’un espace propice au partage et à l’appropriation de savoirs personnels et professionnels. »
Avec cette approche, la classe est complètement transformée. Il s’agit d’abord de créer un espace de confiance et de mettre l’apprentissage au cœur des activités. Cela signifie que le dialogue prime sur l’exposé. L’enseignant ne mène plus le processus, il est un créateur d’espace d’être. Par exemple, l’apprentissage des principes de la gestion de projet : au lieu d’en exposer les étapes et les principes, Jean Bibeau pousse le groupe à prendre conscience lui-même de ces éléments à travers une expérience de pilotage de projet. Les apprentissages seront donc actifs et facilement retenus étant donné que chacun, dans ces interactions, fera émerger le savoir nécessaire à partir de sa propre réflexion.
Selon Bibeau et Bédard, le professeur ne doit jamais juger ni valider, même d’une manière non verbale, les hypothèses des apprenants. « Ça ne donne rien de dire quoi faire », dit-il. Il entre plutôt en relation questionnante et fait émerger le savoir à travers une expérience interactive, quitte à remettre des énoncés en question, à bousculer gentiment, en conservant la foi en la capacité de chaque être humain à apprendre.
En appliquant ces principes, il se peut qu’il crée quelques frustrations au départ chez les étudiantes et les étudiants. Cependant, à l’arrivée, les commentaires sont unanimes. On relate : j’ai appris beaucoup plus dans l’action, ma communication s’est approfondie et mes compétences relationnelles se sont affinées, j’ai appris ce qui devait être appris aussi au plan théorique mais surtout, j’ai appris comment les appliquer. Pour citer un témoignage : « on se sent comme avec un sherpa à monter le Kilimandjaro ».
C’est précisément l’approche qu’il a adoptée dans sa conférence-atelier en étant plus un questionneur, parfois incisif, qu’un détenteur du savoir, ce qu’il est certainement. Il ne cherche pas à étaler son savoir: tout est là, sur le Web, il suffit de chercher. Si vous avez une question, vous pouvez trouver la réponse rapidement. L’important est de bien la formuler, dans son contexte, en interaction avec les autres, en s’attaquant à un problème réel à résoudre.
En quoi cette approche pédagogique innovante – qu’on pourrait même qualifier de radicale – concerne-t-elle l’entrepreneuriat éducatif collégial ? Pour répondre à cette question, examinons la définition de l’entrepreneuriat selon l’Accélérateur que Jean Bibeau dirige : « Entreprendre, c’est l’acte d’un individu qui se sent confiant d’agir, motivé à le faire et qui met en action, avec d’autres, une idée qui lui tient à cœur. Entreprendre, c’est se donner un espace pour être soi-même, vivre de ses passions et exister pleinement. J’entreprends donc je suis. »
En lisant cette définition attentivement, on comprend mieux pourquoi l’être est au cœur de la pédagogie de l’espace expérientiel, car les êtres humains sont capables de faire émerger des savoirs en réfléchissant et en interagissant. Encore faut-il que l’expérience soit authentique. L’entrepreneuriat est une expérience authentique, il porte un potentiel éducatif immense et les gens des collèges feraient bien de s’en inspirer. La pédagogie expérientielle concerne aussi bien les stades de la sensibilisation, de l’expérimentation, de la découverte que de l’implantation de clubs d’entrepreneurs étudiants, d’entreprises-écoles ou de projets entrepreneuriaux autonomes. Les principes que cette pédagogie promeut sont pleinement compatibles avec les intentions éducatives de l’entrepreneuriat au collégial.
Plutôt que d’exposer sa pédagogie ou de tenter de nous convaincre de sa pertinence, Jean Bibeau nous l’a fait vivre. Nous avons été déstabilisés, comme c’est toujours le cas, lorsque la responsabilité de l’apprentissage est déplacée vers les apprenants. Il a fait preuve d’une grande générosité tout en nous encourageant à poursuivre le chemin que nous parcourons ensemble. Pour cela, il mérite notre reconnaissance.
Nul doute que nos trajectoires se croiseront à nouveau à Sherbrooke lors de la Mission entrepreneuriale des 17 et 18 février 2020.
Pour en savoir plus, cet article récent de Denis Bédard, Jean Bibeau, Catherine Pilon et Andréanne Turgeon pourra vous éclairer:
« L’espace expérientiel (E²) ».
