Par Raymond-Robert Tremblay, coordonnateur du PEEC
Le 8 mars devrait inspirer une initiative des collèges en faveur de l’entrepreneuriat féminin.
Les entrepreneures racontent vivre des discriminations parce qu’elles sont des femmes, et encore plus si elles sont de « jeunes femmes ». La plupart estiment ne pas être prises au sérieux et manquer de crédibilité aux yeux des bailleurs de fonds. Dans cet esprit, une participante exprime qu’il est toujours préférable d’être accompagnée par un homme. (Dufresne, 2015)
En France, on note que les entrepreneures sont moins nombreuses (38%) et leurs entreprises génèrent un chiffre d’affaires moindre (182k€ plutôt que 294k€ pour les hommes). (Becuwe et Lelièvre, 2017) Sur les deux continents, la conciliation entre la vie familiale et les activités professionnelles représentent un obstacle à l’essor de l’entrepreneuriat féminin. Comme le disent Marc Duhamel et Étienne St-Jean (2018), de l’UQTR, la charge mentale reliée à la gestion familiale est le lot des femmes, c’est pourquoi les femmes sont deux fois moins nombreuses à créer des entreprises, selon des données de 2016 du Global Entrepreneurship Monitor.
Si les femmes sont nombreuses sur le marché du travail, elles gagnent pourtant moins que leurs collègues masculins, pour plusieurs raisons : elles doivent interrompre ou prolonger leurs études ou leurs carrières en raison de grossesses, elles sont plus nombreuses à travailler à temps partiel, le marché du travail n’est pas toujours équitable et enfin elles optent pour de carrières moins rémunérées. La même chose s’applique à l’entrepreneuriat qui est plus difficile pour elles et… moins payant.
L’indice entrepreneurial québécois de 2017 nous permet d’analyser plus finement la situation globale des femmes en entrepreneuriat. On note que les femmes sont moins présentes dans les carrières scientifiques et technologiques – notamment en informatique – qui sont souvent sources d’innovation et de création d’entreprises. Lorsqu’on observe le taux de l’intention d’entreprendre – un indicateur prédictif – on s’aperçoit que les hommes (11,4%) sont plus nombreux que les femmes (7,5%).
Évidemment, il y des contre-exemples remarquables, des entrepreneures hors du commun qui servent de modèles aux jeunes femmes : Lise Watier, Danièle Henkel, Fabienne Larouche, Cora Mussely Tsouflidou, pour n’en nommer que quelques-unes bien connues. De fait, les femmes sont aussi capables et talentueuses que les hommes dans ce domaine et ne serait-ce des préjugés et des divers obstacles mentionnés, elles seraient bien plus nombreuses.
Heureusement, de nombreux organismes se consacrent à encourager et soutenir l’entrepreneuriat féminin, en proposant de l’accompagnement, de la formation ou du soutien financier. Femmessor est probablement la plus connue à la grandeur du Québec. « Femmessor est une organisation dédiée au développement de l’entrepreneuriat féminin. Elle accueille, informe et oriente au moyen de services d’accompagnement et de financement entièrement adaptés à la réalité des femmes qui créent ou dirigent une entreprise. » De nombreuses ressources sont proposées par le gouvernement du Québec en entrepreneuriat féminin.
Madame Séverine Labelle, PDG de Femmessor explique à Matthieu Charest du journal Les Affaires :
J’ai trois grands objectifs. D’abord, je veux augmenter la notoriété de Femmessor afin que les femmes entrepreneures connaissent et utilisent nos produits et nos services. Nous avons un fonds de 20 millions de dollars pour les soutenir, et je voudrais l’épuiser le plus vite possible. (…) Je veux aussi que notre offre de services croisse. Dans la région de la Capitale-Nationale, par exemple, nous avons implanté des « cliniques » où des expertes de plusieurs domaines (comptabilité, droit, etc.) donnent des heures pour aider nos entrepreneures. J’aimerais que cette idée fleurisse partout au Québec. Enfin, je veux créer des partenariats avec les entreprises.
Ce sont certes des voies intéressantes, mais où trouverons-nous toutes ces aspirantes entrepreneures sinon dans nos collèges et nos universités? Celles-ci, bien formées, doivent être encouragées à prendre des initiatives et à s’affirmer comme futures cheffes d’entreprises innovantes. Elles le font déjà, mais on remarque que la proportion hommes / femmes est quelquefois déséquilibrée. Sans avoir de données formelles – quel beau domaine à explorer – il me semble que l’accent spécifique en direction des femmes est peu présent dans le mouvement de l’entrepreneuriat éducatif au collégial. Sans qu’il soit question de discrimination, les autres facteurs mentionnés précédemment doivent certainement affecter l’intention d’entreprendre des jeunes femmes. Je ne connais aucune initiative de soutien spécifique à l’entrepreneuriat féminin dans les collèges. Si cela existe, ce serait intéressant d’étudier la forme que ça prend dans un collège, afin de répandre les bonnes pratiques qui en découlent. Un début d’explication a été tenté dans l’étude du Réseau M :
Les jeunes femmes qui n’envisagent pas l’entrepreneuriat ont de celui-ci une perception plus négative que les hommes et se sentent moins aptes à se lancer en affaires. Les femmes estiment avoir moins les compétences requises que leurs homologues masculins.
«Il faut montrer des modèles de femmes qui ont réussi dans tous les secteurs et dans toutes les régions. Les femmes peuvent s’identifier à ces entrepreneures et se rendre compte que la montagne à franchir n’est peut-être pas si haute que ça. Il y a un travail à poursuivre concernant la culture entrepreneuriale», reconnaît Rina Marchand.
On voit que la situation ne peut se corriger d’elle-même. Il faudra que les collèges et les universités s’intéressent spécifiquement à offrir des services destinés aux femmes, de manière à ce qu’elles soient soutenues, formées et fortement encouragées à prendre confiance en leur potentiel d’entrepreneures. Certaines sont étudiantes et mères : dans ce contexte j’imagine mal comment elles pourront développer leur potentiel sans l’ajout de services spécifiques leur permettant de participer pleinement à ces activités et ces formations additionnelles.
—
Références
Caroline Dufresne, Portrait de l’entrepreneuriat féminin en économie sociale au Québec, 30 novembre 2015, Chantier de l’économie sociale / Condition féminine Canada, p.29
St-Jean, É. et M. Duhamel (2018). L’entrepreneuriat féminin au Québec : quelques constats et enjeux. Institut de recherche sur les PME. Université du Québec à Trois-Rivières, Trois-Rivières (QC). 18 janvier. http://chantier.qc.ca/wp-content/uploads/2017/03/portraitentrepreneuriatfminin-versionfinale.pdf
Maëlle Becuwe et Pierre Lelièvre, 4 mai 2017, Retrouvez cet article sur www.chefdentreprise.com – « Les 7 vraies ou fausses vérités sur l’entrepreneuriat féminin »
Radio-Canada, Une étude sur l’entrepreneuriat féminin dévoilée à l’UQTR, http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1078994/entrepreneuriat-feminin-uqtr-entrepreneures-affaires-quebec-defis
Réseau M, Un regard sur l’entrepreneuriat féminin, https://www.reseaum.com/documents/20182/64353/Rapport_IEQ2017_final_171030.pdf/ed5cd154-855a-4362-bec4-93079cd502b3
Femmessor, http://femmessor.com/a-propos
Gouvernement du Québec, Femmes entrepreneures, Formes d’aide financière – Formations – Prix et concours – Ressources, https://www2.gouv.qc.ca/entreprises/portail/quebec/infosite?x=69768766
Devenir entrepreneur, 3 novembre 2017, https://devenirentrepreneur.com/fr/indice-entrepreneurial