Un compte-rendu de Louis Gosselin
NOTE DE L'ÉDITEUR: Il est vrai que ce livre ne comporte pas d’élément relié directement à l’entrepreneuriat éducatif au collégial. Cette absence même est parlante. Mais le PEEC estime que pour favoriser la promotion de l’entrepreneuriat éducatif, il faut bien comprendre ce contexte collégial. D’où ce texte personnel de Louis Gosselin, un peu en dehors des normes, mais très éclairant.
Avoir le privilège de me retrouver en discussion avec Guy Rocher, un des membres de la commission Parent, d’échanger avec ce sociologue qui aura été acteur d’un renouveau. Oui un précurseur, un homme de 95 ans lucide et en forme, avec qui je me retrouve à discuter au Congrès de la Fédération des cégeps. Guy Rocher aura marqué notre histoire, l’histoire des 50 ans des cégeps. Il est présent devant moi en ce 31 octobre 2019: il écoute, argumente, partage. Beaucoup d’émotions pour l’ancien prof de cégep que je suis, un moment privilégié pour moi. C’est comme suite à cette rencontre impromptue et unique lors du lancement du livre Après 50 ans, que je partage avec vous mon compte-rendu.
Comme son titre l’indique, le livre Après 50 ans, l’évolution des cégeps inspirée des réflexions de Guy Rocher présente le cheminement des cégeps depuis la Commission Parent à l’origine de leur création jusqu’aux enjeux et défis auxquels ils doivent maintenant faire face. Inspirés, comme point de départ des réflexions et propos de Guy Rocher, plusieurs auteurs participent à la rédaction du livre, partageant leur vision de différents thèmes et enjeux spécifiques au réseau collégial. À cet effet, Après 50 ans constitue un recueil de perspectives variées sur différents objets et pratiques du collégial où sont évoquées autant ses difficultés et réussites que ses défis et ruptures. Le livre comprend quatre parties principales. La Partie 1 reproduit les verbatim de trois allocutions de M. Rocher sur le collégial; la Partie 2 porte un regard actuel sur les principaux thèmes évoqués par Guy Rocher à la lumière des attentes de la Commission Parent; la Partie 3 se penche sur les défis et enjeux actuels du collégial. Le livre se termine par une postface de Guy Rocher.
Un peu d’histoire ou de mémoire de Guy Rocher
La Partie 1: Pensée et perspective de Guy Rocher constitue, à la lumière de trois allocutions récentes (2017, 2018 et 2019), une restitution de l’historique des cégeps de la Réforme Parent à leur création, tel que relaté par le seul témoin vivant desdits travaux, M. Guy Rocher. N’ayant pas lui-même enseigné au collégial, M. Rocher en profite pour porter un regard sociologique sur le cégep d’aujourd’hui, un réseau dont l’évolution se révèle, selon lui et somme toute, teintée de réussites.
Amorce de la Révolution tranquille dans l’enseignement au Québec, la Commission royale d’enquête Parent, du nom de Monseigneur Parent, débutait ses travaux au début des années 60. La Commission Parent se composait de 7 autres membres pour un total de 8, dont six hommes et deux femmes. C’était l’égalité des sexes telle que conçue à cette époque, des dires mêmes de Guy Rocher!
Les membres de la commission Parent, en 1961. Monseigneur Alphonse-Marie Parent, président, est au centre. Troisième à partir de la droite, on aperçoit le sociologue Guy Rocher. Photo: Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Depuis la colonisation, soit depuis le xvie siècle, l’enseignement au Québec, le cours classique était basé sur l’étude la rhétorique, de la philosophie, du Latin et du Grec. À cette époque, le taux de décrochage était de 70 % et seulement une minorité d’étudiants réussissait à faire les huit ans du cours classique. Dès les premières semaines des travaux de la commission Parent, les membres prennent conscience de la sous-scolarisation des Canadiens français de l’époque et du statut défavorisé des filles dans le système d’éducation. Un constat important émerge des travaux de la Commission : le Québec a besoin d’une réforme majeure de son système d’éducation. Selon les propos de M. Rocher, des changements fondamentaux et en profondeur s’imposaient.
Le premier changement majeur sera la déconfessionnalisation du système d’éducation. À cet effet, la Commission Parent recommandera la création du ministère de l’Éducation. La réalisation de la déconfessionnalisation du système d’éducation québécois supposait que l’état prît en charge l’ensemble du système d’éducation, du primaire à l’université. La mise en place du ministère d’Éducation impliquera de remplacer ou, plus crûment dit, de « chasser du pouvoir 22 évêques du Québec » (p. 20) qui dirigeaient alors l’enseignement. Au début du mois de décembre 1964, la Commission remettait au premier ministre Jean Lesage un imposant rapport final en 5 volumes dont le chapitre 6 du tome II intitulé « L’enseignement préuniversitaire et professionnel » annonçait la création des cégeps. Pour faire accepter le concept des cégeps, l’argumentation reposait sur la démocratisation du système d’éducation. Unique en Amérique du Nord, le modèle de Collège d’enseignement général et professionnel proposé par la Commission Parent s’inspire des community colleges de la Californie. D’une part, les cégeps offriront des programmes préuniversitaires de deux ans pour préparer les étudiants à l’université et, d’autre part, des options professionnelles – les programmes techniques – pour préparer au marché du travail. Dès 1967, les 10 premiers cégeps sont créés, dix autres le seront en 1968 et, en 1969, le Québec comptera un total de 30 cégeps (aujourd’hui 48).
Regards actuels et enjeux
Dans les deuxième et troisième parties, les auteurs présentent, à la lumière des thèmes évoqués par Guy Rocher dans le cadre des allocutions rapportées dans la première partie du livre, des réflexions et analyses concernant le réseau collégial actuel et ses enjeux. Les propos et textes proposés par les différents auteurs permettent de tisser un lien passé-futur et d’établir le constat du cégep moteur de changement social au Québec.La Partie 2: Regard actuel s’intéresse à la place du Cégep d’aujourd’hui à la lumière des attentes de la Commission Parent. La table est mise avec le chapitre 1 qui prend comme point de départ la « disparition », avec le Rapport Parent, du fond culturel humaniste de la société québécoise. Tournant le dos au passé, le système d’éducation québécois est projeté, avec Parent, vers l’avant et devient un système de plus en plus fertile de nouveaux enseignements, dont l’ordre collégial. Sont ensuite discutés différents sujets dont la notion d’école et le développement des cégeps, l’éducation libérale et l’utilitarisme, les enjeux et les défis de la formation au collégial, les femmes en enseignement supérieur ainsi que l’enseignement des arts et l’enseignement de la langue française au collégial. La partie 2 se termine en affirmant que le cégep est un projet qui vieillit bien. Le cégep « est entre de bonnes mains […] l’accessibilité et la démocratisation se vivent au quotidien [… et ses] principes sont toujours vivants » (p. 155). Aussi l’introduction de l’approche par compétence marquera à partir des années 1990 la formation collégiale.
Une dédicace bien sentie.
La Partie 3: Défis et enjeux du XXIe siècle propose de se pencher sur les formations du collégial, leur polyvalence et leur capacité à répondre aux besoins de la société d’aujourd’hui et de demain.
Le chapitre I, Le siècle de la formation continue invite à une prise de conscience des défis de la Formation continue au Québec en comparaison à d’autres pays. À cause de sa capacité à « entendre » les besoins des adultes et des entreprises, la Formation continue contribue à la mission et à l’autonomie des cégeps dans création de programmes (AEC) ponctuels, novateurs, spécifiques et adaptés au milieu. S’adapter pour mieux éduquer ou oser faire autrement pour mieux éduquer au collégial constate les besoins d’adaptation de la formation, la bonification de l’offre de services et au numérique pour répondre aux besoins et caractéristiques des étudiants. La flexibilité dans les parcours de formation et la formation – apprenants et enseignants – sont des avenues suggérées pour s’adapter et mieux éduquer. Soulignant au passage divers types d’inclusion en termes d’inégalité sociale des chances, le chapitre sur la Réussite et les défis d’inclusion au collégial s’intéresse spécifiquement l’inclusion (inter)culturelle. Desjardins et Rouillier portent un regard critique sur la place de la recherche au collégial et des centres de transfert technologique. Pour ces autrices, tant l’un et l’autre jouent rôle majeur dans le développement des intérêts des jeunes pour les sciences et la recherche scientifique. L’avant-dernier chapitre dévoile les paradoxes des gestionnaires et de leur association alors que le dernier chapitre de Bernard Tremblay, Président-directeur général de la Fédération des cégeps, rappelle l’enracinement toujours palpable et pertinent des cégeps dans leur milieu.
Conclusion
Comme le souligne Guy Rocher dans la postface du livre:
« … le collégial est devenu 50 ans après ses débuts une partie bien vivante, très dynamique, de l’enseignement supérieur québécois. Le collégial est maintenant un élément essentiel de notre système d’éducation, parce qu’il est en mouvement depuis ses origines, se modifiant et s’adaptant tout en demeurant essentiellement ce qu’il est, faisant preuve d’un dynamisme intellectuel et d’une imagination qui lui ont permis d’élaborer des enseignements diversifiés, inspirés par un regard largement ouvert sur les exigences du monde présent et sur les attentes devant un avenir prévisible » (p. 233).
Après 50 ans témoigne de réflexions du collégial sur le collégial et par le collégial, sur son évolution et ses réalisations [1]. Les cégeps ont atteint leur objectif de démocratisation de l’enseignement supérieur et ont contribué à une offre de formations qui répond(ai)ent aux besoins d’une société en constante évolution. En somme, les cégeps ont su amalgamer capacité d’adaptation, réflexion intellectuelle et approche de la recherche et ainsi devenir une organisation d’enseignement « mature » et au service du progrès de la société québécoise selon Bernard Tremblay.
Quittant mon rôle de rédacteur et retrouvant mon rôle de responsable des partenariats au PEEC, je réitère la réelle fierté que cela fut pour moi de m’entretenir avec M. Guy Rocher, de souligner mon engagement pour le PEEC et de pouvoir lui parler d’une de mes réussites avec mes étudiants, le club entrepreneur Sans-Limite du cégep d’Amos que l’on retrouve dans le volume de la Fédération des Cégeps Le réseau des cégeps : trajectoires de RÉUSSITES (page 103) [2]. Aussi, si nous devions nous permettre un commentaire – intéressé, certes, et nous le reconnaissons –, ce serait l’oubli dans le livre Après 50 ans, de l’apport de l’approche entrepreneuriale au collégial à l’évolution de la pédagogie collégiale et comme outil de réponse aux enjeux sociaux contemporains de plus en plus présente dans les cégeps que nous développons depuis 4 ans. Le Projet d’éducation entrepreneuriale au collège (PEEC) s’inscrit directement, et depuis le début [3], dans ce courant de mouvance et d’adaptation en permettant aux étudiants du collégial de développer une culture entrepreneuriale responsable.
Je termine ce compte rendu en laissant le mot de la fin à M. Guy Rocher, l’homme et la mémoire, qui a inspiré ce livre : « Le collégial demeure ce qui est le plus réussi dans notre système d’éducation [3].
[1] Pour davantage de témoignages d’actions et de réalisations au collégial, nous référons le lecteur à Le réseau des cégeps Trajectoires de RÉUSSITES, Presses de l’Université Laval, 2017.
[3] Voir les contributions de Paul-Arthur Fortin.
[4] Citation de Guy Rocher lors de sa prise de parole au lancement de l’avis du Conseil supérieur de l’éducation Les collèges après 50 ans; regard historique et perspectives.